Isabelle, Roy du Grand Serment de l’Arbalète

Les archiducs Albert et Isabelle.
L'archiduchesse  porte le collier de
Roy et, dans sa coiffure, un bijou
reprenant 3 arbalètes de la
Groote Gulde
Il y a 400 ans, le 15 mai 1615, Bruxelles est en liesse. Les archiducs Albert et Isabelle, au titre de gouverneur de nos provinces, sont invités à participer au tir  du Grand Serment de l’arbalète où celui (celle) qui abat le papegay sera proclamé Roy de la gilde. L’archiviste de la Ville, Alphonse Wauters écrira plus tard :

Son mari, l’archiduc Albert n’accompagnait l’infante Isabelle qu’à regret au milieu du peuple : trop fier pour prendre part au tir.

L’infante(1) petite-fille de Charles Quint et fille de Philippe II d’Espagne, tire, comme le veut la coutume, le papegay dressé au Grand Sablon, sur le haut campanile de l’église corporative des arbalétriers bruxellois.

Chance ou adresse ? Isabelle est sacrée Roy du Grand Serment de l’arbalète. Menée en triomphe au maître-autel de l’église, l’infante est revêtue, par le chapelain des arbalétriers, du baudrier, emblème de sa dignité.

C’est a cette même cérémonie que vous avez le privilège d’assister, au même endroit, quatre siècles plus tard.

Notons que le milieu des armes étant jadis masculin, il n’est pas fait usage de noms féminisés, comme arbalétrière pour un arbalétrier et Reyne pour Roy.

Il est un aspect humain et social de ce fait divers, devenu anecdote historique, plus occulté. La ville après examen de la nature du présent, digne de l’évènement, à offrir à son auguste Roy, vote un don de 25.000 florins dont Isabelle fera noble usage. Le revenu de la somme servira à doter six jeunes filles de 200 florins chacune :

(…) trois de ces six personnes seront choisies entre les filles des domestiques ou serviteurs de la Cour, orphelines de père et de mère, ou du moins orpheline de mère, qu’au défaut de ce on choisira des Guldes ;  que les autres seront choisies entre les filles de ceux qui auront été Gulde-Broeders du Grand Serment des arbalétriers, pourvu qu’elles soient pauvres et orpheline de père et de mère ; qu’à défaut, on conférera à des filles catholiques pauvres et orphelines des bourgeois de Bruxelles ; et qu’à faute de ces dernières, on conférera à des filles procréées des parents brabançons.

Elles assistent deux ans de suite à la procession connue sous le nom de « procession des pucelles du Sablon » qui fait le tour des deux Sablons. Celles qui étaient dorées accompagnaient la procession les cheveux pendants, au contraire de celles qui n’étaient désignées que pour recevoir une dot l’année suivante.

L’acte de fondation est signé le 10 novembre 1617; tandis que la première sortie a lieu le lundi de Pentecôte de l’année 1618.

Des liens durable et un respect mutuel partagé lient Isabelle à ses arbalétriers pendant les 18 dernières années de sa vie terrestre, comme nous allons le voir.

Les engagements sont réciproques. Projeté sous la tutelle du duc d’Albe, gouverneur de nos provinces (1567 à 1573), le percement d’une nouvelle voie reliant le palais ducal à l’église Sainte Gudule est concrétisé sous le règne des archiducs Albert et Isabelle. L’acte est signé le 15 mai 1625, soit 10 ans, jour pour jour après que l’archiduchesse ait abattu le papegay au Sablon. On peut affirmer que les générosités de l’infante envers la corporation des arbalétriers aida au accords du début des travaux de la nouvelle rue au travers du terrain d’exercice que le Grand Serment de l’arbalète occupait le long de la première enceinte de la ville, à un jet d’arbalète du palais. La ru Isabelle et le quartier sont démolis pour l’aménagement de la gare centrale 1908-1911. Reconnaissante, l’infante dote la gilde d’un bâtiment de prestige en contrepartie du terrain cédé pour le tracé de la nouvelle voie. Le bâtiment de forme carrée et édifié à cheval sur les anciens remparts, porte le nom de sa donatrice « La domus Isabellae », maison d’Isabelle.

L’infante n’oublie pas, dans son testament, la corporation pour laquelle elle s’était montrée si généreuse. Elle lègue à la gilde une rente annuelle de 250 florins pour couvrir les frais d’une messe à célébrer le jour de son anniversaire, et à laquelle tous les membres de la gilde sont tenus d’assister. De même, la rente doit subvenir aux frais d’un banquet qui rappellera constamment son souvenir aux confrères.

Les arbalétriers obéirent religieusement à ses dernières volontés : ils payaient encore longtemps 8 florins et 6 deniers pour la célébration de l’anniversaire de l’infante.

En mémoire des bienfaits de son auguste protectrice, le Serment ne tira plus l’oiseau aussi longtemps qu’elle vécut et même quelques années après sa mort, le 1er décembre 1633. L’administration espagnole manquait de fonds pour faire face à la dépense de funérailles de circonstance. L’infante Isabelle rejoint son époux, Albert en 1650, dans un caveau creusé au cœur de la chapelle du Saint-Sacrement de Miracle, au fond à gauche dans la cathédrale des SS Michel et Gudule.


François Samin

Doyen de la Gilde
(2015, extrait du fascicule de la Grand Messe Solennelle de Consécration des Roys)

(1) Titre donné aux enfants non héritiers des Rois d’Espagne et de Portugal. L’infante est âgée de 49 ans lors de son sacre